Pénurie de matériel et dépendance pharmaceutique ..La crise du Covid-19 n’aura pas que des incidences sanitaires. En pointant du doigt les méfaits de la mondialisation, le Covid-19 remet sur le devant de la scène le sempiternel débat du Made In France.

« Les difficultés d’approvisionnement peuvent poser un problème stratégique […] On ne peut pas dépendre à 95 % de la fourniture de batteries électriques venues de Chine ou d’Asie », expliquait Bruno Le Maire le 21 mars 2020. La crise du Covid-19 a remis en haut de la pile un dossier sur lequel de nombreux politiques et économistes se sont déjà cassés les dents, celui de la relocalisation. La pénurie de masques, de blouses, de respirateurs mais aussi de certains médicaments témoigne d’un réel problème de dépendance concernant certains biens stratégiques.

Les secteurs industriels et électroniques font également entendre leurs voix sur le sujet. Un aimant qui manque, une pièce qui reste bloquée à l’autre bout du monde et toute une chaîne de montage est mise à l’arrêt. Le Covid-19 permettra t-il ce sursaut tant attendu du Made In France ? Ou cette vague de nationalisme viendra t-elle s’échouer sur le mur des contraintes économiques qui la freine depuis tant d’années ?

Des indicateurs au vert côté consommateurs

Le 10 avril dernier, un collectif d’associations lançait une consultation citoyenne sur « comment inventer ensemble le monde de demain ». En à peine 10 jours, 294 propositions de relocalisation étaient postées. Parmi les principaux secteurs concernés arrivent en tête la santé (médicaments, matériel), l’énergie, le textile et le secteur agricole. L’objectif est clairement établi : la France doit retrouver une autonomie de production et une indépendance sur des produits vitaux. Ce mouvement, renforcé par la crise, n’est pas nouveau.

D’après le sondage réalisé par Cetelem et Harris Interactive, 52 % des Français·es consomment plus de produits locaux et 44 % plus de produits Made In France qu’il y a trois ans. Les poulets lavés à l’eau de javel made in USA et les étiquettes made in Bangladesh des vêtements à bas prix ne font plus autant recette dans l’Hexagone. Les citoyens et citoyennes sont « sensibles à la notion d’image de marque et une bonne campagne de dénigrement sur internet peut facilement réorienter les préférences d’achat », estime Catherine Mercier Suissa, enseignante-chercheuse a iaelyon School of Management – Université Jean Moulin, spécialiste des questions de relocalisation / délocalisation. Mais leurs bonnes intentions se traduisent-elles vraiment dans les faits ? « Les consommateurs finaux n’ont pas toujours les moyens d’acheter du Made In France », tout de même plus cher que sa copie à petit prix. Pour maître Foucault, avocat en droit des douanes, « la crise va apporter de nombreux problèmes économiques et financiers ». Les Français·es risquent alors de vouloir sécuriser leurs économies, et de dire au revoir au made in France avant même qu’il ne se réinstalle ?

La pénurie remplacera t-elle l’éthique dans le B2B ?

Dans le marché du B2B, l’éthique n’a pas la même place que pour les clients. « Quand une entreprise boycotte un fournisseur, c’est parce que le produit est de mauvaise qualité, aucunement pour une raison d’éthique », explique Catherine Mercier Suissa. Selon une étude réalisée par AgileBuyer et le Conseil national des achats, « le Made In France (ou l’achat local) est considéré par une majorité d’acheteurs (53%) comme un critère d’attribution du business ». Mais en creusant un peu l’étude, on s’aperçoit que cette intention dépend réellement des secteurs et du consommateur final. Dans l’hôtellerie et la restauration, ce chiffre atteint les 78%, le savoir-faire français étant un argument de vente. Dans le secteur automobile, où la production est industrialisée, il tombe à 32%. Qui s’intéresse à la provenance de son pot d’échappement ?

Malgré ces résultats, les pénuries et les difficultés d’approvisionnement et de supply chain pointées par le Covid-19 semblent aussi faire bouger le secteur du B2B. Eric Brunotte, président du syndicat national des entreprises de sous-traitance électronique, alerte sur l’importance des composants électroniques dans l’économie française et appelle à un investissement massif du gouvernement pour faciliter l’approvisionnement « Made In France ». Parmi les affiliés du syndicat, 53% des fabricants d’électronique ont indiqué vouloir se fournir davantage dans le pays pour pallier d’éventuelles pénuries en cas de crise.

Du côté pharmaceutique aussi on tire la sonnette d’alarme. Actuellement, « 80% des principes actifs sont fabriqués en Asie ou en Inde », souligne David Simonnet, directeur d’Axintis, un leader de la chimie fine en France. Or ces principes constituent la base de tout médicament. Suite à une politique de réduction des coûts et de dépollution, une grande vague de délocalisation du secteur s’est opérée dans les années 90 en Europe. La France et ses consommateurs sont-ils prêts à réintroduire un produit loin d’être écologique sur leur territoire ? Les esprits risquent d’être divisés sur la question.

Relocaliser et privilégier le Made in France, oui mais comment ?

Face à ces envies de relocalisation soudaines, la Caisse des dépôts (CDC) par la voix de son directeur, Eric Lombard, a affirmé qu’il fallait réfléchir « à notre organisation industrielle et publique en termes d’indépendance nationale et de gestion des grands risques ». Le besoin de réimplanter des filières de fabrication sur le sol français était alors clairement avoué et légitimé par la crise. Pour mettre au point ce plan stratégique, Eric Lombard compte bien s’appuyer sur Bpifrance. Cette institution va « jouer, aux côtés du secteur bancaire français, un rôle important pour financer tous ces développements » a t-il affirmé avant d’appeler plus largement l’ensemble des acteurs publics et privés de la place financière à prendre part à cet effort.

Devant cette annonce, Catherine Mercier Suissa s’interroge sur les procédés mis en place. « Les réductions d’impôts ou les abattements fiscaux seraient discriminants par rapport à d’autres entreprises qui ont toujours joué le jeu de la production française et des taxes qui l’accompagnent », souligne t-elle. Qui plus est, la question financière n’est pas toujours la priorité pour les entreprises qui reviennent sur notre sol. La marque de ski Rossignol, par exemple, n’a pas demandé les avantages fiscaux liés à sa relocalisation en France quand elle s’est réinstallée.

Pas sûr non plus que les entrepreneurs du Made In France apprécient ce type de mesure. Selon un sondage réalisé par Tudigo pour le salon du MIF, 75% des acteurs du secteur estiment que leurs coûts de production sont trop élevés, 44% critiquent la fiscalité et 40 % l’imbroglio réglementaire français. Eux aussi attendront sans doute un geste du gouvernement. De leur côté, les petits commerces, particulièrement touchés par la crise, attendent aussi leur part. Si le Made In France est protégé, pourquoi pas le « served in France » aussi ? La note finale risque alors d’être bien salée.

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