La culture du lin textile fait de notre pays le premier producteur avec plus de 75 % de la production mondiale. On sait le faire pousser en Normandie et dans les Hauts de France, mais qu’en est-il de ses débouchés et de son industrialisation ? Sommes-nous toujours aussi efficaces ou sommes-nous face à un paradoxe à la française ?
Il faut dissocier le lin textile du lin oléagineux qui nous procure une huile riche en oméga 3 à nouveau autorisée à la consommation depuis que son procédé d’extraction exclusivement à froid est contrôlé. Le lin est une fibre naturelle respectueuse de l’environnement. Pas d’irrigation, pas de défoliant, pas d’engrais ou autres produits phytosanitaires et les déchets de sa transformation sont tous utilisables et commercialisés. Toutes les opérations, de la plante récoltée jusqu’à la fibre envoyée aux filateurs, sont purement mécaniques. Idem lors du peignage ou de la filature. Il n’y a que le transport entre ces différentes étapes qui influe sur le bilan carbone global.
On compte plus de 200 espèces de lin dans le monde dont la plupart sont des plantes sauvages peu utilisées et sans les propriétés du lin français. Comme tout produit cultivé, le lin se heurte à plusieurs contraintes ; culturales d’abord car il faut un sol spécifique, climatiques ensuite et, plus étonnant, morale du fait que son exploitation pose le problème de l’usage de la terre nourricière pour une plante qui n’est pas destinée à l’alimentation humaine ou animale. Cependant, le lin a bien d’autres vertus car il fait partie des cycles de rotations culturales auxquels les exploitants agricoles sont de plus en plus attentifs d’autant que la notion de bio n’est jamais très loin de ces nouvelles pratiques.
Une filière organisée
La filière textile est régie par la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre (CELC) fondée dès 1951. Cette confédération, qui régit ou fédère, selon les avis reçus, l’ensemble de la filière, regroupe plus de 10 000 entreprises allant des exploitants agricoles – environ 6 000 rien qu’en France – aux industries de première transformation comme les teilleurs généralement organisés en coopératives.
On trouve ensuite les filateurs, les tisseurs et enfin les tricoteurs. L’organisation en coopératives permet aux liniculteurs d’avoir un cours du lin globalement plus stable et rémunérateur. Le rôle d’une coopérative comme Terre de Lin, par exemple, est de regrouper toutes les activités en amont de la filière textile, de la sélection des semences, jusqu’au teillage en passant par la valorisation des déchets. Ces coopératives de première transformation jouent un rôle important car elles assurent une qualité et un approvisionnement réguliers, mettant ainsi dans de bonnes conditions toutes les entreprises de prêt-à-porter ou de linge de maison qui constituent la partie aval de la filière.
La France compte aujourd’hui plus d’une vingtaine d’entreprises de teillage qui livrent la fibre peignée aux filatures. Il n’existe plus que deux filatures françaises comme Safilin, mais dont les usines sont depuis plusieurs années implantées en Pologne pour des raisons de coûts de main-d’œuvre. Il faut souligner que notre outil industriel a presque totalement disparu et que c’est la Chine qui achète aujourd’hui plus de 80 % du lin teillé qu’elle file et réexporte vers le vieux continent. C’est donc elle qui réalise la plus importante valeur ajoutée sur les 80 % qu’elle traite tout en nous “gratifiant” d’un bilan carbone désastreux. Le lin peut parfois parcourir des milliers de kilomètres avant d’être entre les mains de la confection qui se fait de plus en plus hors de France même si quelques marques tentent de faire revivre la filière.
Il nous reste les tisseurs qui maintiennent machines et savoir-faire dans les Hauts de France et ailleurs sur les 20 % restants de notre production. TRP Charvet a même développé son activité jusqu’à la confection de linge de maison sous la griffe Charvet Éditions. Lemaître Demeestere, fondée en 1835 et labellisée EPV est aussi Master of Linen et fournit les plus grandes marques de prêt-à-porter.
Vers l’avenir
L’avenir du lin se construit sur un passé entamé à la fin du XIXe lorsque l’huile de lin devient l’élément de base du linoléum. Aujourd’hui, le lin est au cœur de nombreuses applications et recherches en accord avec les nouvelles normes européennes applicables dès 2020 en matière de construction. Un énorme débouché pour le lin associé à des résines et que l’on retrouve dans des nouveaux matériaux comme les encadrements de fenêtres, des panneaux d’isolation sous toiture et autres laines isolantes ou sous-couches de parquet.
Fimalin regroupe des entreprises et des écoles autour d’un projet visant à développer un réseau spécifique d’approvisionnement pour un autre usage que le textile. L’idée n’est pas de substituer le lin aux autres fibres de renfort comme le carbone, mais d’introduire des hybridations apportant des solutions nouvelles. Dehondt Composites fait partie de ces entités. On note quelques réalisations d’importance comme les skis Salomon avec des renforts en lin pour absorber les vibrations de l’âme en carbone, le concept car du constructeur automobile PGO ou encore un plancher et des renforts de coque pour un bateau pneumatique semi-rigide Zodiac. Les applications sont sans fin, mais ces nouvelles technologies se heurtent au scepticisme et aux habitudes des grands groupes industriels.
D’autres entreprises participent à cet effort de développement comme Eco-Technilin et ses produits non tissés à base de fibres naturelles pour le bâti. Safilin propose depuis 2012 un tissu roving en lin. Bref, de quoi redynamiser tout un secteur en rapatriant de la valeur ajoutée et des emplois sur notre sol. Le navigateur Roland Jourdain a même construit le trimaran Gwalaz selon un procédé basé essentiellement sur l’éco-conception autour du lin. De nombreuses sociétés et start-up s’intéressent à ces matériaux biosourcés, même si le prix de revient au kilo est bien supérieur à celui de ceux issus de la pétrochimie. Flaxcomposites propose Innolin PLA, des feuilles composites constituées de lin et de résine biosourcée d’amidon. Ces feuilles sont thermo formables et étanches, ouvrant la voie à de nombreuses applications dans la décoration ou dans l’industrie. Le bâtiment et l’aéronautique font également partie des marchés à conquérir pour le lin, fibre technique par excellence. Les premiers carénages de moto font leur apparition tout comme les raquettes de tennis qui, avec seulement 15 % de lin dans leur cadre, éliminent plus de 22 % des vibrations. Cette fibre naturelle couvre toutes les applications en complément et dans certains cas, en remplacement de celles issues de la pétrochimie. L’argument écologique est à prendre en considération tant en matière de fabrication que de recyclage.
Dernière innovation en date, un filament en composite de lin pour les imprimantes 3D. Une innovation développée par Texilis en partenariat avec Compositic qui intéresse beaucoup les professionnels, architectes et designers, le médical et l’industrie pour lesquels la technologie additive est monnaie courante.
Les produits innovants sont donc l’avenir du lin. Sa fibre est presque aussi solide que celle en carbone, mais deux fois plus légère et plus souple.
Et nos vêtements ?
L’utilisation du lin pour du linge de corps ou du linge de maison ne date pas d’hier. Depuis toujours, il est reconnu pour ses nombreuses propriétés naturelles. Il est antibactérien, antifongique, hypoallergénique et rentre encore dans la composition de fils chirurgicaux. Il possède un haut pouvoir d’absorption d’eau grâce aux pectines qu’il contient et associent les fibres entre elles. C’est ce qui donne ce caractère thermorégulateur et vivant à une chemise. Ces pectines se chargent d’eau ou s’en libèrent selon les conditions climatiques, ce qui fait du lin, un tissu que l’on peut porter en toutes saisons. Le lin français de qualité se froisse alors que du lin bas de gamme se fripe et perd toute souplesse.
Que ce soit pour la mode ou la décoration, les créateurs ont à leur disposition un très large panel de finitions adaptées à l’usage final. Le lin est tissé en chaîne et trame et, selon le dessin du tissage, il sera plus ou moins froissable. Chevron ou sergé, ajout de matière stretch, alpaga, cachemire, soie, il se combine à de nombreuses manières et peut même être imperméabilisé et traité anti-UV pour un usage outdoor.
Bon nombre de marques françaises travaillent le lin dans le prêt-à-porter comme dans l’ameublement. Rares sont celles qui peuvent confectionner en France à cause d’un taux de main-d’œuvre trop élevé. Il faut donc se satisfaire d’être déjà le premier producteur mondial et que la recherche aille bon train, ouvrant de nouveaux débouchés. À quand un grand atelier de confection pouvant travailler pour plusieurs marques de manière à mutualiser les coûts et mieux absorber les commandes de moyennes quantités ? Certains y travaillent déjà mais cela ne se fera pas en un jour et sans une prise de conscience collective.
La vie du lin
Le lin est l’unique fibre végétale originaire de notre continent et dont les propriétés naturelles et le mode de culture la rendent impossible à délocaliser. La grande particularité de cette filière réside dans l’interconnexion entre les pays et les différents acteurs, mais revenons sur sa production. (Photos Sebastien Rande / CELC).
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