Co-fondée par Arnaud Montebourg, la Compagnie des Amandes, basée à Aix-en-Provence, entend redonner vie à l’amandiculture en France. Objectifs : 2 000 hectares d’ici à 2024 le long de l’arc méditerranéen et la création d’une casserie à Signes, dans le Var. Reportage.
Tous les jours, Patrick Serre arpente le domaine de la Renjardière, à Sérignan du Comtat, dans le Vaucluse. Ce chef de culture veille minutieusement sur cette vaste plantation d’amandiers qui s’étend sur une centaine d’hectares. Lauranne, Ferragnès, Mandaline, Guara ou encore Vaïro… Depuis mars 2021, différentes variétés d’amandes françaises avec porte-greffes ont été plantées. « On a terminé les dernières plantations au mois de février », lance Patrick, alors que ce jour-là le Mistral souffle avec force.
Il y est habitué, car « il y a toujours du vent ici ». La taille n’a aucun secret pour lui. « Sur 70 hectares, les arbres en demi-tige sont taillés en forme de gobelet que l’on appelle plein-vent. Ça va donner des arbres qui vont monter à 6 ou 6,5 mètres de hauteur », explique-t-il, en pointant du doigt les arbres, de quelques centimètres déjà sortis de terre. Si la taille est aussi importante, c’est que l’amande coûte cher à l’hectare et nécessite six ans avant de dégager des revenus.
C’est ici le plus grand site de France exploité par la Compagnie des Amandes, basée à Aix-en-Provence et co-fondée par Arnaud Montebourg et François Moulias. Depuis 2018, l’ancien ministre du Redressement productif [sous le gouvernement Valls-Hollande] sème les graines d’une future filière le long de l’arc méditerranéen français.
De la Californie aux premières plantations en Provence
Cette ambition germe à l’occasion d’un voyage en Californie alors qu’il est ministre. Dans cet état, l’exploitation intensive de l’eau dans la Vallée du San Joaquin, essentiellement pour les besoins de l’agriculture, est un enjeu majeur. Ce secteur central de la Californie compte 350 000 hectares d’amandiers, soit 80 % de la production mondiale avec des champs qui côtoient les puits de pétrole, présents depuis le début du XXe siècle.
Pâtisserie, snacking, fruits secs, cosmétiques… La France consomme 45 000 tonnes d’amandes par an, « alors que nous n’en produisons que 800 tonnes. 95 % des amandes que nous consommons en France viennent de Californie », poursuit l’ancien ministre de l’Économie.
Dès lors, il se met en tête de relocaliser la filière de l’amande en France. « Il existait 12 000 hectares d’amandiers sur notre territoire et notamment en Provence en 1948. L’amandiculture a disparu au fil du temps, la compétence pour la production s’est perdue… Elle doit revenir dans son berceau initial méditerranéen, la Provence, la Corse, l’Occitanie… Ici, on a le soleil, l’eau et nos variétés d’amandes sont bien meilleures, plus frugales et adaptées ».
« Un nouveau modèle pour réinventer l’agriculture »
Certes. Sauf que le territoire manque d’hectares. Le savoir-faire a disparu, sans oublier l’absence de débouchés. L’entreprise aixoise imagine alors « un nouveau modèle pour réinventer l’agriculture », lâche le chantre du made in France et du souverainisme économique.
Il s’agit d’une forme d’association avec les agriculteurs qui ont un désir de diversification sur leurs terres. « Ils dédient un certain nombre d’hectares à cette nouvelle plantation. Nous n’achetons pas les terres, car nous ne voulons pas être propriétaires, insiste Arnaud Montebourg. Ils restent les patrons. Nous apportons le capital (25 000 euros/ha) et eux les compétences techniques ».
La rémunération s’effectue via une société ad hoc dans laquelle l’agriculteur détient 51 % et la Cie des Amandes 49 %. « Un mariage pour 25 ans. La durée de vie de l’arbre et on remet en marche la terre », poursuit l’entrepreneur. Il vante ce modèle économique « assez révolutionnaire, car il transforme les conditions dans lesquelles les paysans travaillent. Ils ne sont plus seuls, ils sont financés, mais pas endettés. Ils restent maîtres de leur culture, mais soutenus. Ça donne aux agriculteurs la certitude qu’ils sont chez eux, qu’on finance à leur place. Même pendant la période où il n’y a pas de récoltes et donc de recettes, ils sont payés ».
Vers le développement de l’agro-écologique
De l’Aude aux Alpes-de-Haute-Provence, en passant par l’Hérault, le Gard ou le Vaucluse, une dizaine d’agriculteurs ont signé avec la Compagnie des Amandes, comme à Sérignan du Comtat. Autrefois, dans ce champ de 100 hectares, des melons à perte de vue, venus remplacer des vignes. Il fait d’ailleurs office de démonstrateur, avec aussi ces deux amandiers centenaires comme symboles de la renaissance d’une filière qui existait autrefois.
« L’année prochaine, tout sera vert. On va planter des semis, comme du trèfle par exemple », reprend Patrick Serre, le chef de culture. « Il y aura aussi des haies de différentes tailles, en herbées, buissonnantes, brise-vent…. Elles vont former des petites parcelles de 7 hectares dans le verger, car le but c’est aussi faire de l’agro-pastoralisme pour ne plus avoir à travailler le sol et favoriser la biodiversité ». Une manière de reconstituer des habitats naturels selon les prescriptions du ministère de la Transition écologique.
L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) détient 6 % du capital de la société et participe au développement de cette vision agro-écologique. Agronomiques, hydrauliques ou économiques, « nous avons des itinéraires techniques innovants et écologiquement, ça n’a rien avoir avec ce qui se pratique sur le plan mondial, précise le co-fondateur. Nous régénérons nos sols avec de la matière organique, nous supprimons autant que possible les apports chimiques, nous semons des couverts inter-rang d’essence résiliente avec un désherbage mécanique, jamais chimique ».
Le Muséum d’histoire naturelle et l’Observatoire agricole de la biodiversité assurent aussi un suivi de toutes les plantations, pour améliorer l’observation de la reconstitution de la biodiversité.
3 000 tonnes d’amandes « plus généreuses, goûteuses et plus ventrues ».
Si le processus global nécessite du temps, avant de voir les premières rentrées d’argent, les fondateurs restent optimistes, car « c’est un projet qui passionne les épargnants de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur », se réjouit l’ancien ministre.
La Compagnie des Amandes a réussi à lever 7,7 millions d’euros en cumulés lui permettant de fonctionner jusqu’à présent. Elle vise les 25 millions. « Et déjà les clients font la queue devant chez nous, reprend Arnaud Montebourg. La grande distribution, la pâtisserie, les calissonniers, les transformateurs de l’industrie, la cosmétique, un nougatier de Montélimar, par exemple, consomme 700 tonnes d’amandes par an… ».
Il faut six ans avant que les premières graines portent leurs fruits. Une fois les arbres arrivés à maturité, l’entreprise mise sur la distribution de 3 000 tonnes d’amandes « made in France » « meilleures, plus généreuses, goûteuses et plus ventrues ».
Ouverture de la casserie en 2024
La relocalisation de la filière passe aussi par la transformation, avec la construction d’une casserie, à Signes dans le Var. Un investissement de 12 millions d’euros. La CCI du Var a vendu le terrain tandis que la Région Sud a apporté une aide à hauteur de 10 %.
La Compagnie des Amandes ambitionne d’atteindre 350 hectares de vergers plantés à la fin de l’année. Elle mise sur 2 000 hectares d’ici à 2024. Chaque verger représente un emploi à plein-temps pour 20 à 25 hectares. La casserie va permettre l’embauche d’une quinzaine de personnes et 15 de plus au plus fort de la saison, sur le modèle des vendanges. Le début des travaux est prévu en 2023 pour une livraison en 2024.
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